
Motivés par la célébration du centenaire de 14/18, l’ASOR21 et ANORGEND21 ont recherché un lieu chargé d’histoire méritant d’être mis en valeur. Et c’est assez naturellement qu’ils ont fait porter leur choix sur le fort d’Hauteville-les-Dijon. Ce fort, encore dénommé « Fort Carnot », est l’une des composantes du système défensif d’envergure voulu par le général Séré de Rivières tout à la fin du XIXe siècle pour l’Est de la France.
Son ouverture au public, les 2 et 3 juin 2018, se fit en accord avec la municipalité d’Hauteville-les-Dijon, et ceci d’autant plus facilement que la commune, aujourd’hui son propriétaire, permet aux membres de ces associations d’y réaliser leurs activités de maintien en condition opérationnelle.
Pour ce qui est des grandes périodes de son histoire vieille de 140 ans, il convient de retenir que de sa construction jusqu’en 1940, ce fort servit continuellement aux Armées françaises. Seules les années de l’Occupation allemande firent exception à cette règle de continuité, ainsi qu’il sera dit plus loin.
La Libération venue, le fort devint dépôt de prisonniers de guerre ennemis (1945-1948), puis il abrita de nouveau des activités militaires traditionnelles. Et bien des Dijonnais et Dijonnaises se souviennent des très nombreux conscrits qui y étaient envoyés pour « faire leurs classes », jusqu’à ce que le service national obligatoire soit supprimé, en 1996.
Finalement, en 2008, devenu inutile aux besoins de la Défense, le fort fut délaissé. Une autre page de son histoire pouvait alors s’écrire en 2011 quand il fut cédé au profit de la commune.
Durant ce week-end des 2 et 3 juin 2018, c’est un ensemble d’activités qui fut présenté au public :
Michel BONNOT, dans une première conférence, s’intéressa à la ceinture fortifiée dijonnaise construite après la guerre de 1870. Sans oublier de renvoyer au fort de la Motte-Giron, l’un des six forts de cette ceinture dont il est fin connaisseur, il évoqua le rôle et la vie du fort d’Hauteville jusqu’à la Grande guerre.
Michel BLONDAN, lors d’une seconde conférence, présenta le fort d’Hauteville comme « annexe de la maison d’arrêt de Dijon », statut qui fut le sien de novembre 1941 à septembre 1944. Ce sujet, largement méconnu fut traité après un long dépouillement des registres d’écrou du fort conservés aux Archives départementales de la Côte-dOr. Voir ci-après.
En outre, une visite libre, le long d’un parcours balisé, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, permettait de découvrir bâtiments, locaux et ouvrages. Pour aider à la compréhension de l’architecture militaire, Raymond CHAUCHARD avait rassemblé documents, plans et schémas, les deux caponnières et le pont-levis lui tenant particulièrement à cœur. Voir ci-après.
Un abri traverse fut aussi particulièrement remarqué des visiteurs car transformé, à une époque qui reste à déterminer, en « chapelle », grâce au travail de quelques peintres et artistes enfermés là et qui, du sol au plafond, ont recouvert ses murs d’une vaste fresque représentant les 14 stations d’un chemin de croix, surmontées de messages bibliques en langues française et allemande.

Mais ce fut encore l’occasion de s’attarder devant plusieurs expositions :
L’exposition de l’Association des Diables bleus, présidée par Jean-Claude BARBEY, était centrée sur le conflit de 14/18 et ses principaux généraux.
L’exposition montée par le conseil municipal des jeunes de la commune, avec le soutien de l’ONACVG de Côte d’Or et de sa directrice Mme TARDIVON, présentait Jean MOULIN, son rôle et son engagement dans la Résistance.
L’exposition conçue par Oliver COURTOIS de l’ASOR21, à l’aide de répliques d’armes permettait de suivre l’évolution des armes d’épaule, du chassepot aux armes actuelles.
Sans oublier les films et diaporamas sur les raids des réservistes réalisés sur le secteur du fort, à Talant, en 2011, à Fontaine-les-Dijon, en 2013, et à Hauteville, en 2015, le tout réalisé par Ciné 2.
Le bon déroulement de ce week-end (environ 200 personnes) doit beaucoup à l’implication de Véronique SIROUX et des bénévoles qu’elle a rassemblés, ainsi qu’à Anne-Françoise BAILLY, journaliste au Bien Public, qui l’a annoncé et le photographe pour le reportage visionné plus de 10000 fois dur le site du journal. Qu’ils en soient remerciés.
Relevons également la présence du Capitaine Stéphane PARENT réserviste de la Bundeswehr du Land de Rhénanie-Palatinat, invité en sa qualité de membre d’une association partenaire de l'ASOR21.
La journée du samedi s’est achevée par une cérémonie. En présence de Jacques de LOISY, maire d’Hauteville et de diverses personnalités (Patricia GOURMAND et Patrick CHAPUIS conseillers départementaux, Gilbert MENUT Maire de Talant, Joseph COLY Directeur Maison d’Arrêts Dijon, la directrice ONACVG, et les représentants du DMD21, de l’antenne GIGN de Dijon, des archives départementales, de nombreuses associations patriotiques) , un nouveau drapeau fut hissé au mât des couleurs et une gerbe déposée en l’honneur des Armées.
Michel ESCALLIER, Michel BLONDAN
Texte de Raymond CHAUCHARD
La documentation présentée au fort d’Hauteville avait pour objet, en complément des conférences, de faire découvrir au public les forts de type Séré de Rivières de première génération (1874-1885) qui étaient alors une des composantes caractéristiques de la défense du pays.
Le fort Carnot à Hauteville, construit de 1877 à 1880 est resté, malgré des rajouts d’éléments de confort (électricité, chauffage central, tout-à-l’égout, faux plafonds…), dans son état d’origine. En clair, ce fort n’a pas eu, depuis son achèvement, d’aménagements le rendant plus apte à la guerre (bétonnage, artillerie sous tourelles…)
La première partie des documents présentait les normes généralisées de construction (casemates, caponnières, entrées, magasins…) et les particularités du fort d’Hauteville.
Deux éléments de ce fort en constituent les principales singularités. Il s’agit d’une caponnière de gorge sous le pont dormant au centre du fossé, totalement détachée du mur d’escarpe ; il s’agit aussi d’un très rare pont-levis de type Frézier dont on peut encore apercevoir le haut des bielles.
La seconde partie présentait le cadre de vie de la troupe à l’intérieur du fort. D’abord un historique de la conscription entre 1870 et 1914, puis des éléments plus matériels. Les conditions de sommeil, de ravitaillement en eau, les installations sanitaires, … étaient repris dans la documentation. Celle-ci traitait aussi de l’hygiène des soldats, des repas (avec la copie de recettes pour les troupes au casernement), de l’éclairage et du chauffage des locaux, du mobilier …
La troisième partie traitait de l’artillerie de défense rapprochée et de l’artillerie d’action éloignée mises en place dans les forts de type Séré de Rivières peu après leur construction.

Fort d’Hauteville-les-Dijon, annexe de la maison d’arrêt de Dijon (novembre 1941- septembre1944)
Texte de Michel BLONDAN
Le passé militaire du fort d’Hauteville-les-Dijon a laissé bien des traces dans la mémoire des Dijonnais. En revanche, le rôle singulier que ce fort joua durant l’Occupation est aujourd’hui largement méconnu. Pour autant, ce pan de l’histoire peut être reconstitué, notamment grâce à une collection de registres d’écrou conservés aux Archives de la Côte-d’Or.
Le 16 juin 1940, les Allemands entrent dans Dijon. Le 18 novembre 1941, le fort d’Hauteville-les-Dijon se referme sur 164 hommes transférés collectivement de la prison des Hauts-Clos de Troyes. Puis, deux jours plus tard, sur 63 autres transférés des prisons parisiennes de La Santé et du Cherche-midi. Tous ces hommes ont été jugés par diverses juridictions militaires allemandes qui les ont condamnés à l’emprisonnement à temps. Désormais, ils auront pour gardiens des surveillants relevant de l’administration pénitentiaire française. A l’évidence, en moins d’un an et demi, l’occupation allemande est devenue une dure réalité, et la collaboration d’Etat est à l’œuvre. Il en sera ainsi jusqu’en septembre 1944, date à laquelle ce fort cessera d’être l’annexe de la prison départementale du célèbre 72 de la rue d’Auxonne, à Dijon.
Ce sont les débuts de la résistance armée, et notamment les attentats commis par les jeunes communistes après l’attaque de l’URSS par les armées allemandes le 22 juin 1941, qui expliquent l’accentuation de la répression allemande et la réorganisation du parc pénitentiaire hérité de la IIIe République, d’où la création de nouveaux lieux d’enfermement et les transfèrements des prisons de la région parisienne vers la province. Le fort d’Hauteville-les-Dijon en est une illustration.
Bien sûr, des résistants furent internés à Hauteville après condamnation par une juridiction militaire allemande, parfois pour des faits qui ne sont pas les plus importants de ceux qu’ils ont commis. Le cas de Pierre DAIX le montre bien à qui lit ses ouvrages J’ai cru au matin et Les Combattants de l’impossible. Sans compter qu’il y a ces hommes qui, une fois libérés, continuent le combat, comme Albert BROUARD, inspecteur de police de la préfecture de police de Paris, arrêté le 22 janvier 1941 par un collègue commissaire, remis aux Allemands, jugé et condamné par le tribunal militaire du Grand-Paris. Libéré à Hauteville le 9 janvier 1942, Albert BROUARD s’évade de France par les Pyrénées le 9 avril suivant, rejoint le consulat britannique à Barcelone, s’engage dans les Forces françaises libres et devient chef d’antenne du BCRA – les services secrets du Général de GAULLE – à Madrid.
De nombreux juifs furent également internés au fort d’Hauteville, dont beaucoup originaires d’Europe centrale. Toutes sortes d’infractions leur avaient été reprochées. Les unes en conséquence de l’Occupation, comme les passages de frontière ou de ligne de démarcation. D’autres discriminatoires comme la « non déclaration du culte », le « non-port d’insigne Juif », y compris jusqu’à l’acharnement dans les détails de la persécution comme la « non remise d’un appareil de TSF », ce pour quoi furent écroués, par exemple, Salomon MEERSON (écrou 209), Elic GOTLAND (écrou 237) et Wlff ROSENBERG (écrou 258). Il est à remarquer que si, dans un premier temps, les Juifs écroués à Hauteville étaient remis en liberté à l’expiration de leur peine, ceux qui arrivèrent plus tard furent systématiquement transférés, sous escorte de gendarmes français, dans les camps de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Drancy, antichambres des camps d’extermination. Alexandre KLEIN, juif et hongrois, ayant été le premier d’entre eux, le 27 février 1942, dernier jour de sa peine de 3 mois.
La troisième des grandes catégories des détenus du fort d’Hauteville relève du droit commun. Le droit pénal allemand primant sur le droit pénal français, on y retrouve les auteurs d’injures, de vols, d’escroqueries, de faux en tout genre, pourvu que ce soit au préjudice des Allemands.
Finalement, en un peu moins de 3 ans, 3821 hommes furent écroués au fort d’Hauteville-les-Dijon. Leurs histoires d’avant avaient été singulières. La détention fut un bouleversement d’autant de vies, sinon de destins. Certes, il n’y eut pas de fusillés. Mais il y eut des déportés. Certes, il y eut des évadés et des rapatriés d’après travail en Allemagne. Mais conservons aussi en mémoire les souffrances endurées en ce lieu et les morts en déportation sur le territoire du Reich.